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+ du web n°23

RUBRIQUE CHIFFRE : L'action de concert

L'Analyse de l'arrêt rendu par la Cour de Cassation le 27 octobre 2009 par Antoine Juaristi, avocat chez Lovells 1. La notion d'action de concert Selon les auteurs, la notion d'action de concert intervient lorsque certains acteurs d'une société cotée, le plus souvent ses actionnaires, se coordonnent au point de former un "groupe de concertistes" partageant une même stratégie à l'égard de la société. D'une manière générale, la notion de "concert" repose sur l'idée qu'un accord a été passé entre diverses personnes (les concertistes) poursuivant un même but, à savoir la mise en œuvre d'une politique qui leur est par conséquent "commune. Cet accord peut être écrit, comme c'était le cas dans l'affaire Gecina, ou bien cet accord peut se déduire du comportement de certains acteurs sur le marché, comme c'était le cas dans l'affaire Sacyr. L'action de concert a été introduite par la loi relative à la sécurité et à la transparence du marché financier du 2 août 1989. Ensuite, la directive communautaire du 21 avril 2004 (dite Directive OPA), transposée en France par une loi du 31 mars 2006, est venue préciser les conditions particulières dans lesquelles une action de concert peut être établie en période d'offre publique autour de l'initiateur ou de la société cible. La notion de concert est liée à l'obligation qui pèse sur les actionnaires d'une société cotée de procéder à certaines déclarations lorsqu'ils augmentent leur participation dans cette société. La déclaration du franchissement de certains seuils a été érigée en obligation pour les actionnaires de sociétés cotées, qu'ils agissent seuls ou de "concert", en assimilant les unes aux autres les actions détenues par des concertistes pour calculer le montant des participations collectives. Ces mesures préventives ont pour objet de protéger les actionnaires des sociétés concernées par des prises de contrôle "rampantes" réalisées par ramassages en bourse. Les règles édictées dans le Code monétaire et financier ainsi que par celles prévues par le Règlement général de l'AMF prévoient également que toute personne physique ou morale agissant seule ou de concert et venant à détenir, directement ou indirectement, une certaine fraction du capital ou des droits de vote d'une société est tenue d'en informer immédiatement l'Autorité et de déposer un projet d'offre publique en vue d'acquérir une quantité déterminée des titres de la société. Aujourd'hui, l'action de concert est définie à l'article L.233-10 du Code de commerce qui dispose que "sont considérées comme agissant de concert les personnes qui ont conclu un accord en vue d'acquérir ou de céder des droits de vote, pour mettre en œuvre une politique [commune] vis-à-vis de la société". 2. Analyse de l'arrêt rendu par la Cour de Cassation le 27 octobre 2009 2.1 Rappel des faits L'affaire avait pour origine un conflit entre actionnaires de la société espagnole Metrovacesa, laquelle était elle-même actionnaire de contrôle de la société Gecina. Le groupe Sanahuja, d’une part, et Messieurs Rivero et Soler d’autre part, étaient les actionnaires de référence de Metrovacesa. Or, ils avaient des visions stratégiques d’entreprise à ce point différentes qu’ils avaient signé, le 19 février 2007, un accord de « séparation » ayant pour objectif la mise en place d’une procédure de division du groupe Metrovacesa qui devait permettre à chacun des deux groupes de se séparer. Le groupe Sanahuja devait rester dans la société Metrovacesa et Messieurs Rivero et Soler devaient rester dans la société Gecina. Cet accord prévoyait une séparation en trois temps. Dans un premier temps, il était prévu que Messieurs Rivero et Soler sortaient de la société Metrovacesa et recevaient en échange des actions de la société Gecina. Dans un second temps, la société Gecina s’engageait à apporter une partie de son immobilier de bureau à une société Médéa, revenant à terme à Metrovacesa. Dans un troisième temps, la société Gecina lançait à son tour une Offre Publique de Rachat d'Actions (OPRA) sur ces propres titres, rémunérée par attribution des actions Medea qu’elle détenait en portefeuille. Cette dernière opération, laquelle devait ainsi mettre un terme au processus de séparation des deux groupes n'a cependant pas pu aboutir et a débouché sur la question de l'action de concert. 2.2 Rappel de la procédure Dans une décision datée du 13 décembre 2007, l’AMF a estimé que la réalisation de cette OPRA amènerait nécessairement Messieurs Soler et Rivero, agissant de concert vis-à-vis de la société Gecina, en situation de dépôt obligatoire d’un projet d’offre publique visant les actions Gecina par franchissement du seuil du tiers du capital de Gecina. En conséquence, l'AMF a conclu à la non-conformité du projet d'OPRA, en ce que les autres actionnaires de la société Gecina ne disposaient pas, en l’état, de l’information cohérente et complète à laquelle ils ont droit en cas de dépôt d’une offre publique obligatoire subséquente à l'OPRA. Un recours en annulation contre cette décision fut formé par la société Gecina devant la Cour d'Appel de Paris, laquelle rejeta ce recours en date du 24 juin 2008, en considérant qu'aux termes de l'accord de séparation Messieurs Soler et Rivero s'étaient entendus pour acquérir et exercer des droits de vote de la société Gecina, ainsi que pour mettre en œuvre une politique commune vis à vis de cette société, et que de ce fait ils agissaient de concert. La Cour d'Appel précisa par ailleurs, qu'il importait peu que cette politique commune ne soit mise en œuvre que temporairement. Dans son arrêt du 27 octobre 2009, la Cour de Cassation rejette le pourvoi qui avait été formé à l'encontre de l'arrêt de la Cour d'Appel, et confirme donc l'analyse de la Cour d'Appel. Nous pensons que cet arrêt, même s'il ne modifie pas la solution rendue par la Cour d'Appel en 2008, revêt une grande importance, et ce à plusieurs égards. 2.3 Nos commentaires En premier lieu, la Cour de Cassation a pris le soin de publier cet arrêt non seulement dans son bulletin annuel, mais en plus sur son site internet. Cette double publication traduit de toute évidence la volonté de Cour de Cassation d'accorder de l'importance à cette décision. En second lieu, cet arrêt nous semble important en ce qu'il vient préciser ce que recouvre la notion d'action de concert. En effet, la Cour de Cassation a considéré que l'accord de séparation constitue un accord aux termes duquel Messieurs Rivero et Soler sont convenus d’acquérir et d’exercer des droits de vote de la société Gecina pour mettre en œuvre une politique commune vis à vis de cette société, et que celle-ci consiste à faire procéder à une suite d’opérations, incluant le projet d’offre publique de rachat, dans le dessein de réaliser la séparation de l’ensemble constitué par les sociétés Metrovacesa et Gecina par la répartition du patrimoine de ces deux sociétés au profit de deux groupes d’actionnaires distincts, Messieurs Rivero et Soler ayant vocation à concentrer l’essentiel de leur investissement dans la société Gecina. Cette politique commune, par elle même exclusive d’un accord ponctuel, s’inscrit dans la stratégie explicitement annoncée par le préambule de cet accord et qu’il importe peu qu’elle ne soit mise en œuvre que de manière temporaire. Ainsi pour la Cour de Cassation, la politique commune qui caractérise l'action de concert vis à vis d'une société peut n'être constituée que par la simple volonté de faire procéder à une suite d’opérations dans le but de réaliser une séparation de capital. Par cet arrêt, la Cour de Cassation se livre donc à une définition restrictive de la notion de politique commune vis-à-vis d'une société. En effet, cette politique commune qui caractérise la notion d'action de concert, ne se limite pas à une simple politique de gestion à long terme de la société, mais peut englober une simple politique capitalistique poursuivant des objectifs immédiats. Cet arrêt enrichit donc la notion d'action de concert par rapport à la notion traditionnellement retenue par les juridictions, et vient élargir par voie de conséquence le champ d'application de l'article L. 233-10 du Code de Commerce. En effet, l'arrêt de la Cour de Cassation vient valider la jurisprudence de la Cour d'Appel de Paris, laquelle a retenu l'action de concert dans deux affaires bien distinctes, alors que les comportements des concertistes dans ces deux affaires étaient très éloignés. Interview de Johann Lissowski, Avocat au Barreau de Paris 1) Qu'est ce qu'une action de concert? Qu'est-ce que la décision de la Cour de cassation a changé à cette notion? D'après les dispositions de l'article L233-10-I du Code de commerce "sont considérées comme agissant de concert les personnes qui ont conclu un accord en vue d'acquérir ou de céder des droits de vote ou en vue d'exercer les droits de vote, pour mettre en oeuvre une politique commune vis-à-vis de la société". C'est en droit boursier que l'action de concert revêt toute son importance car elle permet de définir la figure du contrôle conjoint au sein d'une société. En effet, tout investisseur doit savoir si la société dans laquelle il détient des actions est contrôlée par des actionnaires poursuivant un but commun. Le marché doit savoir si des ramassages en bourse ne sont pas le fait d'actionnaires qui préparent de concert une prise de contrôle. L'existence d'un concert répond à ces préoccupations. Si des actionnaires déclarent agir de concert, leurs participations respectives au sein de la société doivent être additionnées. A ce titre, l'action de concert est le pivot des offres publiques obligatoires. Par exemple: soit un actionnaire A qui détient 20% du capital et 15% des droits de vote d'une société cotée et un actionnaire B qui détient 15% du capital et 20% des droits de vote de cette même société. Prise séparément, la participation de ces deux actionnaires ne les soumet à aucune contrainte en terme d'offre publique obligatoire. En revanche, si ces deux actionnaires déclarent agir de concert, alors ils détiennent ensemble, de concert, 35% du capital et des droits de vote de la société. Dans ces conditions, ils ont franchi de concert, le seuil de 33% du capital et des droits de vote, seuil générateur d'une offre publique obligatoire (article 234-2 du Règlement général de l'AMF). S'ils détenaient ces participations à l'origine de l'introduction en bourse de la société, le marché savait donc qu'ils étaient les actionnaires de contrôle dès l'origine et, à ce titre, ils n'étaient soumis à aucune obligation de déposer une offre publique. En revanche, si, postérieurement à l'introduction en bourse, ces deux actionnaires venaient, suite à des acquisitions, franchir de concert le seuil de 33% du capital et des droits de vote de la société, alors ils sont soumis à l'obligation de déposer un tel projet d'offre. Généralement les actions de concert sont annoncés à l'AMF par les supposés concertistes. Le problème se pose (cf. jurisprudence GECINA) lorsque des actionnaires ont déclaré, à l'AMF, ne pas agir de concert alors que dans les faits, ils ont signé des accords qui semblent répondre à la définition de l'action de concert. L'AMF dispose alors d'un pouvoir propre pour qualifier une action de concert et en tirer toutes les conséquences qui s'imposent en terme de réglementation boursière. En l'espèce, il avait été passé toute une série d''accords complexes (offre publique d'échange simplifiée, apport d'actifs immobiliers, etc...) entre des actionnaires de GECINA et de la société qui contrôlait cette dernière. La finalité de cet accord étant de restructurer l'actionnariat de GECINA, MM. Soler et Ribero étant amené à détenir séparément une forte participation dans GECINA. Ces deux actionnaires avaient toujours déclaré ne pas agir de concert vis-à-vis de GECINA. L'AMF a eu une autre interprétation. Elle a considéré que les accords ci-dessus évoqués répondaient aux critères de la définition de l'action de concert et que MM; Soler et Ribero agissaient de concert. Les conséquences étaient immédiate: ils dépassaient, de concert, le seuil de 33% du capital et des droits le vote de GECINA et à ce titre, étaient soumis à une offre publique obligatoire sur ladite société. Ces deux actionnaires font appel: La Cour d'appel donne raison à l'AMF. Ces deux actionnaires se pourvoient en cassation. La cours rejette le pourvoi confirmant ainsi la position de la cour d'appel. Le véritable apport de cette jurisprudence dans l'appréciation d'un des critère qui qualifie une action de concert: "la politique commune". En effet, selon une jurisprudence bien établie de l'AMF et de tribunaux, pour qu'il y ait action de concert, il faut: 1.un accord en vue d'acquérir ou de céder des droits de vote ou en vue d'exercer les droits de vote; (dans le cas de GECINA, cet accord était matérialisé); 2. pour mettre en oeuvre une politique commune vis-à-vis de la société; Ces deux critères sont cumulatifs. Jusqu'à maintenant, la jurisprudence du régulateur déduisait de la "politique commune" l'exigence implicite d'une certaine durabilité en opposition de laquelle s'inscrirait la seule opération de scission d'un groupe (ce qui était la finalité des accords passés entre les deux actionnaires de GECINA). Pour la Cour de cassation, l'accord de scission, s'il est en lui même ponctuel, l'exécution de cet accord est inscrit dans la durée en raison de la complexité des opérations de restructurations (plusieurs offres publiques, opérations d'apports d'actifs) affectant par là-même la patrimoine et la stratégie de la société. A ce titre, le second critère est caractérisé. On peut dire que la décision de la Cour de cassation élargit le champs de l'action de concert aux accords temporaires de restructuration de l'actionnariat en ce que ce dernier a un impact suffisant pour opérer un changement dans la stratégie de la société; 2) Quelles sont les répercussions de cette décision pour la vie de l’'entreprise, les actionnaires, le rôle de l’'AMF? S'agissant des entreprises cotées, ses principaux actionnaires qui décideraient de procéder à un accord de restructuration de l'actionnariat, devront procéder sous l'aune de cette jurisprudence et considérer que leur action commune (restructurer l'actionnariat par des offres ou apports d'actifs, par exemple) pourrait être constitutive d'une action de concert entre eux. S'agissant de l'AMF, il convient de souligner son rôle actif dans ce cas. C'est elle qui a, de manière unilatérale, qualifier le concert entre les deux actionnaires de GECINA, et ce malgré les dénégations de ces derniers. De la part de l'AMF, une telle implication est suffisamment rare pour être soulignée.

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